State Capture: Des dividendes qui fondent comme neige au soleil - Afsar Ebrahim
C’est un fait! L’État mauricien n’a pas la culture de l’actionnaire. L’Etat mauricien aurait dû percevoir des dividendes de Rs 10,4 milliards venant de ses investissements, (2012 à 2019), mais il n’a finalement obtenu que Rs 4,8 milliards. Népotisme, copinage… voilà des mots qui sont souvent sur les lèvres des Mauriciens lorsqu’on parle des entreprises où l’Etat est actionnaire. Cette mauvaise gouvernance se pérénise dans le temps. Résultat! Des dividendes censés venir soutenir le trésor public qui fondent comme neige au soleil…
L’Etat mauricien joue un rôle important dans un certain nombre de grandes entreprises locales. Cette situation résulte de l’histoire économique de l’île qui a vu l’Etat mauricien devenir propriétaire ou actionnaire majoritaire d’entreprises commerciales, mais aussi d’entités offrant des services essentiels à la population comme la CWA pour la distribution d’eau ou le CEB pour celle de l’énergie.
La participation de l’État au capital de nombreuses entreprises est censée garantir la défense de l’intérêt général du peuple mauricien et permet à l’île Maurice de conserver ses fleurons. Mais après plus d’un demi siècle d’indépendance, et au fil des changements de gouvernement, un constat s’impose cependant. L’État n’a pas la culture de l’actionnaire.
Surtout au vu des performances des entreprises dites commerciales, notamment celles destinées à créer de la valeur, produire des dividendes et ainsi aider le trésor public à faire face à ses dépenses. Une aide qui aurait été de bon aloi compte tenu du fait que le trésor public mauricien est aujourd’hui endetté à hauteur de plus de 80% du Produit Intérieur Brut. L’île Maurice est, en effet, un habitué du déficit budgétaire, c’est-à-dire qu’elle est obligée d’emprunter pour couvrir ses dépenses courantes.
Interrogé, Afsar Ebrahim, Directeur de Kick Advisory explique le paradoxe de l’Etat actionnaire: “ Maurice n’est pas le seul pays où nous avons des entreprises appartenant à l’Etat. Cela dépend des objectifs généraux de ces entreprises. L’État a-t-il investi parce qu’il veut rétablir un certain équilibre dans l’économie? Ou investissent-ils dans un domaine où personne d’autre n’investit. En fin de compte, la maximisation de valeur ou la création de dividendes dépend des objectifs fixés par l’entreprise. Est-elle là pour faire des profits ou est-elle là pour apporter une certaine stabilité sur le marché, surtout si le problème concerne l’offre? Cependant, si c’est dans une activité commerciale où l’Etat s’est trouvé actionnaire parce que pour des raisons historiques, il en a été ainsi, alors, la question de la concrétisation des résultats ne dépendra pas de la question de savoir si l’État est actionnaire ou non, cela dépend de la qualité du management, de la qualité des personnes qui sont à la tête de ces entreprises”.
A chaque changement de gouvernement, la population mauricienne assiste à une valse de Chairmen et de CEOs à la tête des entreprises dont l’Etat est actionnaire majoritaire. Et très souvent ce sont les proches de ceux au pouvoir qui sont nommés au sein de ces entreprises. Une mauvaise habitude qui s’est pérennisée dans le temps. Casés, ces nominés politiques peinent souvent à pérenniser l’entreprise ou atteindre les objectifs fixés.
Raj Ramlugun, ancien manager d’Air Mauritius et syndicaliste et secrétaire de l’association des petits actionnaires, dénonce cette politisation des entreprises, dont l’Etat est actionnaire! :
“On est dans une logique à Maurice, où toutes les compagnies contrôlées ou appartenant à l’Etat, sont sous l’apanage des politiciens du jour. Et ces personnes-là, ont un agenda. Un CEO peut être compétent, peut avoir une vision et une compréhension, mais il reste redevable envers les personnes qui l’ont nommé. Il fait donc énormément de concessions ou il fait le jeu des politiciens. Pourquoi ? Afin d’obtenir son salaire de Rs 1 million à la fin du mois”.
Il existe une profonde désynchronisation des deux mondes. Si la politique est rythmée par les échéances électorales, celle des entreprises est tournée vers le cycle des résultats financiers.
Ces entreprises, dont l’Etat est actionnaire majoritaire, sont gérées au profit du public et pour être correctement gérées, elles ont besoin de personnes compétentes. Ce n’est pas que les proches du pouvoir soient tous incompétents. Mais il arrive trop souvent que ce soient les personnes qui manquent de compétences pour faire une bonne carrière ailleurs, qui sont casées dans ces entreprises.
Raj Ramlugun : “Quand vous regardez la façon dont Air Mauritius est gérée, pas juste Air Mauritius, c’est systémique ! C’est le cas pour tous les biens de l’Etat. En Afrique du Sud, on appelle ça le State Capture. Tous les biens appartenant au peuple, à l’Etat mauricien, sont devenus les propriétés personnelles de ceux qui sont au sommet du pouvoir et de leurs entourages. Le népotisme!”.
Le népotisme, le copinage ou encore le favoritisme, voilà des mots qui sont souvent sur les lèvres des Mauriciens lorsqu’on parle des entreprises de l’Etat actionnaire.
Le copinage ou favoritisme, est une pratique politique, économique ou sociale qui consiste à la nomination ou l’ascension d’une personne dans la hiérarchie qu’il dirige, soit parce qu’elle est une amie ou un proche. Tout ceci au détriment des processus de sélection ordinaire et du mérite. En ce qui concerne la nomination d’un membre de la famille, on parle de népotisme. Des pratiques susceptibles d’empêcher les entreprises publiques de contribuer autant qu’elles le pourraient à l’économie et à la société.
Les premiers cas de state capture ont été identifiés dans les pays d’Europe de l’Est au début des années 2000, selon la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International(FMI). Plus récemment, en Afrique du Sud, des commissions judiciaires ont commencé à révéler l’ampleur de la corruption et du phénomène de « capture de l’Etat » qui s’étaient développés durant la présidence de Jacob Zuma.
L’ONG Transparency International qualifie la « capture de l’Etat » de formes de corruption des plus pernicieuses où les entreprises, les institutions ainsi que les individus puissants utilisent la corruption pour influencer et « dessiner » la politique ou encore l’environnement d’un pays.
Le groupe bancaire SBM et la compagnie nationale d’aviation, Air Mauritius, en sont deux exemples des entreprises vivant au rythme de la politique. Le premier affecté par des prêts douteux a vu sa valeur dégringoler en bourse, perdant 50% de sa capitalisation boursière au cours des trois dernières années, de 2017 à 2020. Alors que l’action de son concurrent, le MCB Group, géré par des actionnaires privés, a crû de près de 10% pour la même période.
Au niveau du paiement de dividendes le MCBG a déboursé un total de Rs 2,7 milliards à ses actionnaires en 2019 contre Rs 903 millions pour la SBM Holdings.
La compagnie nationale d’aviation, Air Mauritius, jadis un des fleurons de l’île nation, a lui été placée sous administration volontaire, cette année, afin de sauvegarder les intérêts de la compagnie et des actionnaires. Une descente aux enfers marquée par des jeux de chaises musicales biaisés, de scandales, de nominations douteuses et de stratégies bancales.
Si des doutes subsistent encore quant au manque d’efficacité des entreprises appartenant au peuple, elles s’évaporent en jetant un coup d’œil aux dividendes versés au trésor public ces dernières années. Des dividendes qui fondent comme neige au soleil.
Selon les projections officielles, le gouvernement mauricien aurait dû engranger des dividendes venant des entreprises au sein desquelles l’État est actionnaire majoritaire, de l’ordre de Rs 10,4 milliards pour la période de 2012 à 2019. Mais il n’aura perçu que Rs 4,8 milliards, soit un écart de près de Rs 6 milliards comparativement aux projections.
Les dividendes qui avoisinaient Rs 1 milliard pour l’année 2012, ont chuté à seulement Rs 185 millions en 2019, soit une baisse de 80%.
Les dividendes qui avoisinaient Rs 1 milliard pour l’année 2012, ont chuté à seulement Rs 185 millions en 2019, soit une baisse de 80%, alors que les estimations faisaient état de Rs 480 millions. Ces Rs 185 millions représentent un retour de moins de 1% sur les investissements consentis par le gouvernement, souligne le dernier rapport de l’Audit.
Dividendes payés par les entreprises dont l’Etat est actionnaire majoritaire (2012 à 2019)
31.12.2012 | 2,477,000,000 | 1,039,755,819 |
31.12.2013 | 2,633,000,000 | 1,478,778,376 |
Jan to Dec 2014 | 1,295,000,000 | 942,836,943 |
Jan to June 2015 (6 months) | 303,000,000 | 295,187,828 |
July 2015 to June 2016 | 1,519,000,000 | 319,268,338 |
July 2016 to June 2017 | 1,238,500,000 | 298,024,518 |
July 2017 to June 2018 | 525,000,000 | 303,053,677 |
July 2018 to June 2019 | 480,000,000 | 185,865,844 |
Total | 10,470,500,000 | 4,862,771,343 |
Gerald Lincoln, CEO et Managing Partner d’Ernst & Young (EY) à Maurice, se dit surpris et choqué de la tendance baissière des dividendes perçus par l’Etat actionnaire:
“C’est choquant, de voir que les entreprises qui, à priori, évoluent dans un environnement concurrentiel… Alors que les autres ont augmenté. On voit ça bien par rapport au système bancaire, si on compare le prix et les rendements entre la MCB et la SBM. La MCB est partie en flèche alors que la SBM a pris la flèche mais dans l’autre sens. C’est juste un exemple, il y a en d’autres. Pour moi, c’est très simple, le rôle de l’état c’est de faciliter les choses et de prendre des décisions de « policy». Le secteur privé, c’est à lui de rouler le business, c’est ce qu’il sait faire. Quand l’Etat a les deux chapeaux, de temps en temps, les trois chapeaux, parce qu’il est aussi régulateur dans les communications par exemple, à l’instar de l’ICTA. Il faut que chacun soit à sa place.
Le rôle de l’Etat pour moi, ce n’est pas de faire du business. Ce n’est pas sa force, ce n’est pas ce qu’ils savent faire, pas qu’à Maurice d’ailleurs. C’est partout pareil. On a vu que quand Air France a été privatisée, elle était bien mieux gérée que quand elle était étatisée. C’est la même chose pour l’Angleterre. J’ai habité en Angleterre au moment où toutes les privatisations se faisaient. L’eau , l’électricité, tous les services d’utilités, tellement mieux géré après, qu’avant.
C’est dommage qu’à Maurice, le gouvernement n’ait pas cette ouverture d’esprit de dire que ce n’est pas notre rôle. On va privatiser, on va laisser rouler le business. Là où il faut réguler, on va réguler. Par exemple, il y a des domaines où il faut faire attention, comme les télécoms, on a besoin d’un régulateur. On a besoin d’un régulateur pour l’aviation. C’est triste de voir de belles entreprises qui ont un certain âge, souffrir de mismanagement et de décisions de mauvaise gouvernance, d’ingérence politique, d’agendas à court terme parce qu’une entreprise est là pour le long terme. Ça fait du mal aux entreprises, et c’est vraiment dommage”.
Au total, des investissements de Rs 22,2 milliards, 72 % du total des investissements, n’ont produit aucun rendement.
Dans son rapport, le bureau national de l’audit souligne que des investissements de Rs 6,7 milliards de roupies n’ont donné aucun rendement pour l’exercice 2018-19. Au total, des investissements de Rs 22,2 milliards, 72 % du total des investissements, n’ont produit aucun rendement depuis qu’ils ont été consentis par le gouvernement.
Tim Taylor, ex-chairman du National Committee on Corporate Governance:
“Peu importe la taille d’un pays. La gouvernance garantit essentiellement que les ressources vont aux bons endroits. Il ne faut pas se leurrer, le gouvernement n’a pas d’argent. Il ne dispose que de l’argent qu’elle prend aux contribuables, que ce soit la TVA, l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés ou les rares entreprises étatiques distribuant des dividendes. L’argent vient du peuple. Et je pense que la bonne gouvernance est importante parce que le peuple doit être assuré que l’argent qu’il contribue réellement au Trésor public est géré et dépensé de manière appropriée. Il s’agit donc de s’assurer que les parties prenantes, qui possèdent les ressources mais qui ne les gèrent pas réellement, ne soient pas trompées. C’est pourquoi la gouvernance est importante”.
Les dividendes reçus ne représentaient que 0,2% des revenus de l’an dernier.
La principale source de revenus pour le trésor public mauricien provient des impôts, où quelque 98,3 milliards de roupies ont été perçus au cours de l’exercice clos le 30 juin 2019, soit 72,2% du total des revenus. Les dividendes reçus ne représentaient que 0,2% des revenus de l’an dernier.
Raj Ramlugun, Secrétaire de la Listed Companies Minority Shareholder Association:
“Je me sers d’un seul test. Si cette entreprise vous appartenait, prendrez-vous les mêmes décisions? Ils ont placé toutes sortes de personnes à la tête des entreprises appartenant au peuple. Pourquoi ne recrutez-vous pas ces personnes-là au sein de vos entreprises? Ils vous diront non. Elles sont trop incompétentes. Ah! Elles sont incompétentes pour votre entreprise mais bon pour être placé au sein des entreprises dont les actionnaires sont les contribuables”.
Pour l’exercice 2020, il est prévu, selon les estimations budgétaires, que les dividendes atteingnent Rs 553 millions, dont plus de la moitié contribuée par Mauritius Telecom, avant de chuter à Rs 150 millions en 2020/21.
Source: http://bit.ly/3nuIAdJ
Comments
Post a Comment