Afsar Ebrahim: «Nous devrions éliminer les zones grises et la subjectivité»


Afsar Ebrahim
                          Afsar Ebrahim, Deputy Group Managing Partner, BDO (Maurice).

La notion de contrôle d’une compagnie dans le droit mauricien a fait débat, notamment avec l’affaire NMH. Un comité est chargé d’étudier et de clarifier les règles qui la définissent.

La Financial Services Commission (FSC) est en présence d’un rapport sur les changements à apporter aux Securities Takeover rules 2005 pour les aligner sur les normes internationales. Y a-t-il des lacunes à ces règlements ?

Le Securities Act date de 2005 et le Securites (Takeover) Rules de 2010. La FSC a constitué un comité pour recueillir les avis et propositions du secteur financier et des parties concernées dans le but d’apporter des amendements aux Securities (Takeover) Rules de 2010.

Une fois constitué, ce groupe de travail a lui-même instauré cinq sous-comités composés de professionnels du secteur, tels que des avocats et comptables qui ont de l’expérience en la matière, pour aider à améliorer les règles en se basant sur les meilleures pratiques internationales et en les adaptant aux situations locales.

J’ai moi-même fait partie d’un de ces sous-comités, composé d’André Bonieux de PwC, du CEO du Mauritius Institute of Directors, Juan Carlos Fernandez Zara, et de Samad Jhummun de Global Finance Mauritius.

Dans les grandes lignes, quelles ont été vos principales recommandations ?

Étant toujours dans le processus de consultation, je ne peux à ce stade commenter nos recommandations ou le rapport global.

Ce que je peux souligner, en revanche, c’est que les règles gouvernant le marché financier sont en constante évolution. Les marchés évoluent car les circonstances changent ; les transactions deviennent plus fréquentes. C’est un processus naturel auquel nous devons nous adapter.

En tant que centre financier international de renom, il est important que nous ayons une longueur d’avance sur les améliorations à apporter à la législation et aux règlements en vigueur, car ce cadre légal représente un avantage compétitif indéniable. Avec le temps, il y aura toujours des éléments à améliorer et il se présentera toujours des situations auxquelles la loi n’apportera pas de réponse. Il est logique que, sur la base de l’expérience passée, ces paramètres évoluent et soient améliorés.

Justement, quels sont ces paramètres qu’il faudrait changer ?

Je pense, par exemple, aux «squeeze-out provisions» (NdlR : des dispositions portant sur l’exclusion des minoritaires) ou encore aux facteurs déclencheurs d’une offre d’achat obligatoire. Nous devrions éliminer non seulement les zones grises mais aussi la subjectivité. Lorsque les règles seront plus claires, l’exécution et l’application seront plus faciles. Nous devons nous assurer que les pouvoirs discrétionnaires des régulateurs ainsi que l’interprétation subjective soient éliminés et si cela n’est pas entièrement possible, les réduire au strict minimum.

Les dispositions qui régissent les offres publiques d’achat sont celles qui demandent à être revues. Dans ce domaine, le besoin de changement se fait cruellement sentir.

À Maurice, pour qu’une offre publique d’achat soit validée, elle doit être acceptée par 90 % des actionnaires à qui l’offre a été faite. Ce seuil de 90 % est équivalent à ceux en vigueur sur la plupart des autres marchés. En revanche, le mode de calcul de ces 90 % est différent à Maurice : les actions appartenant déjà à l’actionnaire acquéreur sont exclues du calcul. Ce qui fait que la barre à Maurice est significativement plus haute qu’elle ne l’est à l’étranger.

La loi stipule qu’un actionnaire qui passe la barre de 30 % du capital d’une compagnie est censé en avoir pris le contrôle et, de ce fait, doit initier une offre publique d’achat. Est-ce une disposition raisonnable ?

Tout d’abord, nous devons comprendre ce que signifie le mot «contrôle». Selon les normes comptables internationales (International Financial Reporting Standards- IFRS) 10, un actionnaire contrôle une compagnie lorsque les trois conditions suivantes sont réunies : il exerce une influence sur la compagnie ; il a le droit d’obtenir des rendements variables sur son investissement dans cette compagnie; il est en mesure d’influencer le montant de ces rendements. En dépit de cette définition, la notion de contrôle n’est pas simple à établir et les IFRS se réfèrent à des notes explicatives.

Par ailleurs, le principe de contrôle sous le Companies Act est défini comme suit : quand une personne contrôle la composition du conseil d’administration ou est en mesure d’exercer un contrôle sur plus de la moitié des votes à l’assemblée générale des actionnaires ; ou quand une personne détient plus de la moitié du capital émis ou est autorisée à recevoir plus de la moitié des dividendes déclarés.

Un conseil d’administration est contrôlé par une autre compagnie si cette dernière a le pouvoir de nommer ou de révoquer tous les directeurs de la compagnie ou un nombre de directeurs détenant entre eux la majorité des votes au conseil d’administration ; et quand la société mère détient la moitié ou moins des pouvoirs de vote au sein de la compagnie.

Par conséquent, le contrôle n’est pas défini par l’actionnariat.

Est-ce que l’acquisition de 30 % du capital est un critère valable pour dire qu’un actionnaire a pris le contrôle effectif d’une compagnie ?

Le Securities (Takeover) Rules 2010 fait référence au concept du «contrôle effectif», qui est une notion subjective et sujette à interprétation, et au seuil de 30 % de l’actionnariat pour déclencher une offre publique d’achat. Ce seuil varie suivant les juridictions. Aux Bermudes, par exemple, il n’y a pas de règle pour une offre publique d’achat. En Argentine, le seuil est de 15 % ; il est à 20 % en Australie ; à 25 % en Inde, en France, à Hongkong et au Royaume-Uni, il est à 30 %. En Afrique du Sud, le seuil est à 35 % et en Israël à 45 % et aux États-Unis, il varie d’un État à l’autre.

À Maurice, le seuil doit se conformer à la juridiction dans laquelle il y a une double cotation (double listing) et 30 % est un seuil correct dans les circonstances actuelles.

Comment définit-on un délit d’initié ? Quelles sont les institutions qui devraient intervenir/enquêter à ce sujet ?

Agir sur une information non-connue du public et qui affecterait la valeur des actions, si elle était rendue publique, constitue un délit d’initié. C’est un délit pénal. Les règles sont claires. Il existe des institutions compétentes, telles que la SEM, à qui revient la responsabilité de déterminer s’il y a eu un délit d’initié et de mener une enquête. Si la SEM est à l’aise avec une transaction, c’est qu’il n’y a pas de problème.

Quant à la signification du terme «acting in concert», c’est un terme très technique que seuls les experts juridiques peuvent expliquer. Ces termes font toutefois clairement référence à l’abus de pouvoir.

Dans un monde global et ouvert, pourquoi les grands groupes locaux résistent- ils aux assauts des investisseurs étrangers ?

C’est une mauvaise perception, éloignée de la réalité. De nombreuses entreprises locales comptent des investisseurs étrangers dans leur actionnariat et nul n’est réfractaire à leur participation. Tout partenariat stratégique est la pierre angulaire du développement d’une entreprise. À ma connaissance, la plupart des groupes mauriciens ont établi des partenariats avec des investisseurs étrangers de renom qui partagent leurs visions et leurs objectifs de création de valeur à long terme.

On résiste généralement à une offre hostile parce que le prédateur ne partage pas la même vision, que ses intérêts ne sont pas alignés sur ceux des parties intéressées. Il s’avère que les prédateurs sont souvent des destructeurs de valeur, puisqu’ils démantèlent l’entreprise et ont des perspectives à court terme.

À Maurice, depuis l’adoption des «Takeover Rules», il n’y a pas eu d’OPA hostile de la part d’investisseurs étrangers ; il n’y a eu que des rumeurs. À ma connaissance, aucun groupe étranger n’a fait une proposition ferme de rachat avec de «l’argent sur la table» pour les actionnaires.

Certains grands groupes se sont même restructurés pour se protéger des actionnaires minoritaires...

Dans la majorité des cas, la consolidation de l’actionnariat démontre un engagement des actionnaires envers l’entreprise. En rétrospective, les restructurations d’entreprise et le renforcement de l’actionnariat ont permis de bâtir des structures financières solides et d’assurer un engagement à long terme des actionnaires. C’est un mouvement positif et bienvenu à mon sens.

Il existe un fort leadership dans le secteur privé, soutenu par une vision pour la création de valeur sur le long terme. De même qu’un tour d’horizon mondial permet d’établir que les entreprises familiales cotées en Bourse sont le fondement de beaucoup de systèmes économiques, certaines de ces entreprises sont les principales génératrices de valeur pour plusieurs pays : Ford, LVMH, IKEA, TATA, Hermès, Wal-Mart. Sur plus des 500 plus grandes compagnies familiales au monde, on en recense une centaine aux États-Unis.

En revanche, une OPA hostile représente souvent de l’argent facile et conduit à la destruction des actifs en les décomposant.

Source: http://bit.ly/3nrEnXY

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